17 MARS : CONTREXÉVILLE

6H09. Le soleil se lève sur les Vosges. Ici il y a encore le froid, la gelée blanche. J'ai vu la banlieue de Nancy s'étirer, et les bois petit à petit se soustraire aux centres commerciaux, aux hôtels première classe et aux fastfood de la périphérie. À la surface du sol, une brume, parfois des touffes d'herbes sur sol marécageux. Et des arbres nus, et des fermes isolées, des éoliennes. Ruisseaux, haies, taillis : le silence des champs juste après le lever du jour.


Contrexéville, Mercredi 17 mars : de ce jour de colloque sur la « bientraitance » dans le cadre de la « semaine de la santé mentale », j'ai appris plusieurs choses. D'abord et avant toute autre remarque, j'ai appris comment ce corps de métiers (ceux du soin) se réfléchit et se remet en question, sollicitant des savoirs variés (philosophie, droit, acteurs de terrain, psychologie, psychiatrie – notons quand même qu'il n'y avait là que les représentants des métiers les plus hauts gradés de la hiérarchie...), remettant aussi en question l'État, principal financeur et pourvoyeur de nouveaux concepts (comme ce néologisme auquel nous réfléchissions aujourd'hui : « la bientraitance »). Comment travailler avec (ou contre) ce que l'État impose en toute méconnaissance du terrain ? Parce qu'il a bien été question de résistance. Rien de bien différent avec les arts et la culture, jusque là. Pourtant, j'ai été saisie : ici, les individus, indépendamment de la hiérarchie et des corps de métiers, ou bien à travers ceux-là, public compris, se pensent comme un collectif, travaillant à comprendre et améliorer les conditions dans lesquelles ils travaillent et les raisons pour lesquelles ils travaillent. Je ne suis pas là pour évaluer à quel point ils y parviennent ou non, ou à quel point le collectif dans lequel ils s'inscrivent est juste ou équitable (je n'en ai d'ailleurs pas les moyens), mais le contraste avec la solitude, la flexibilité et la concurrence qui règnent dans les métiers de l'art m'a frappée. Alors, certes, nous avons moins de hiérarchie... Mais pour le moment la question n'est pas là. Savons nous, nous aussi, nous penser comme un collectif ? Savons-nous nous adresser à d'autres (à l'État, par exemple) comme collectif ? Je me demande depuis longtemps pourquoi, nous, artistes, n'avons pas cette capacité à convoquer à nos tables rondes les métiers de la loi, qui pourraient nous expliquer comment nous fonctionnons (et comment nous pourrions manoeuvrer à partir de tout cela). Comment nous organiser ? Quelqu'un, docteur en droit, m'a un jour parlé d'un paradoxe qui, selon lui, rassemble les artistes : nous réclamons sans cesse (entre nous) un statut moins précaire, et pour autant dès qu'il s'agit de penser une norme, nous nous échappons. Je comprends et ressens cette nécessité dans la pratique artistique, explorer l'extérieur du cadre, refuser la normalisation, mais pourquoi l'étendre aux conditions juridiques, sociales, de notre pratique ? Hem. Suis-je moi-même pour autant capable de « faire groupe » ? Dès que j'entends le mot « collectif », la maladie de l'électron libre me reprend... Mais voilà ce qui m'a frappée aujourd'hui.
Quant au contenu de cette journée, dense, riche, sans mots mâchés : des questions que d'autres sauraient expliquer mieux que moi : la maltraitance institutionnelle, l'éthique, le pouvoir du soignant sur le soigné (« au nom de quoi, toi qui me soignes, t'autorises-tu à vouloir mon bien ? »). Et cette question, qui plane un instant et se suspend durablement dans la salle, dans ma tête : convient-il, sous prétexte de bientraitance, de faire taire les marginaux ?


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